Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/79

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jeune fille napolitaine dont les cheveux étaient blonds comme blondes sont les feuilles jaunies par l’automne, et dont le visage et les épaules étaient inondés comme d’un reflet de cette chevelure fauve et bouclée. Certainement, c’était la plus belle de nous toutes. Elle était moins grande que moi et plus mince. Le soleil de son pays s’était vengé sur ses noirs sourcils et ses paupières de n’avoir pu foncer cette résistante chevelure. Tranchant sous le double cadre d’ébène de ses sourcils, ses prunelles, d’un bleu pâle et mat, ressemblaient à des turquoises enchâssées dans un bracelet le jais, et elles étaient d’une telle tristesse que l’éclair n’en partait jamais et que même les pleurs n’y étincelaient pas. Je me pris pour cette jeune fille de la plus folle idolâtrie. Mais, Allan, si cette affection exaltée avait été seulement le l’amitié de jeune fille à jeune fille, vous aurai-je dit qu’elle était belle ? Vous aurai-je parlé d’autre chose que de son cœur ?…

« Est-ce qu’il n’y aurait donc qu’une manière d’aimer, et serait-il vrai que toutes ces distinctions dans ce point intangible que nous appelons notre cœur sont des chimères ou des mensonges ? Oh ! alors, je m’expliquerais pourquoi je tremblais en approchant d’elle ! pourquoi je rougissais quand elle me regardait, de son œil bleuâtre et triste ! pourquoi les yeux bandés, dans nos jeux, je la reconnaissais sans la toucher aux mouvements qui s’élevaient en moi quand je l’approchais, et je l’approchais toujours ! Mais elle m’aimait aussi, elle, et pourtant elle était calme dans nos entretiens. Ses caresses fraîchissaient sous les miennes. Si elle rougissait, ce n’était pas moi qui la faisais rougir… C’était quelque vague espérance, germe d’un monde déposé dans le chaos de l’avenir ; c’était la hâte