Page:Barbey d’Aurevilly - Ce qui ne meurt pas, 1884, 2e éd.djvu/82

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j’étais bien, et nous restions ainsi longtemps… À présent, que me restait-il ? Qu’est-ce que je trouvais dans ses lettres ? L’expression froide d’une émotion vulgaire, des commérages de couvent, et rien de plus, car les rêveries d’une jeune fille ne se parlent pas. Ah ! si peu me mettait à la torture, et — puisqu’il m’était aussi impossible de lui écrire ce que je lui avais tu quand elle m’enivrait de sa présence, — j’aimai mieux me retirer dans la solitude désolée et silencieuse de mes souvenirs.

« Mais les souvenirs à cet âge, qui est le vôtre, Allan, ne sont pas éternels. L’image de Margarita s’effaça peu à peu de ma pensée. Je me suis quelquefois demandé pourquoi on ne peut rompre avec les amours qui le suivent comme avec le premier amour ? Les facultés qui bouillonnaient en moi, je cherchai à les occuper par les livres dont mon éducation m’avait tenue éloignée et par le monde que je ne connaissais pas encore, mais ces facultés ne trouvaient ici ni là la pâture dont elles étaient avides, et je ne comprenais qu’un seul but à la vie d’une femme : — le bonheur dans l’amour.

« Allan, je ne diminuerai pas l’abnégation de ce récit… Il y avait dans la société de ma tante une foule de jeunes gens qui m’entouraient de leurs hommages. À cette époque de ma jeunesse je n’eus que des engouements passagers, mais auxquels l’ardeur de mon caractère donnait les transports intérieurs de la passion. Ces beaux jeunes gens, dont je m’éprenais dans un soir, je les ai tous méprisés depuis, ou, plutôt, le mépris tua l’amour que je fus sur le point de leur donner. Fats imbéciles ! qui eurent la puissance d’altérer ma voix quand ils me grasseyaient leurs riens et à qui je me livrais, dans un salon plein, soit dans les audaces