Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/112

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n’oubliaient point, quand il s’agissait de la comtesse, de mettre un peu de venin dans leur miel. Il faut le dire, malgré son costume de coquette, la grande marquise était bien au-dessus de ces misérables sentiments. Belle comme un jour d’Asie, elle admirait naïvement la beauté dans les autres, et toujours elle avait parlé de celle de Mme d’Anglure comme eût fait un homme impartial. Fière d’être belle, elle avait une fierté tranquille, inaccessible à toutes les alarmes. La comtesse d’Anglure, avec qui elle eut l’amabilité des cœurs généreux pour ceux qu’on traite avec injustice, la crut son amie, et vraiment elle l’aurait été, si, comme celle qui l’appelait de ce nom, elle s’était livrée en se liant, ce qui lui était impossible. On l’a déjà vu, le caractère de cette femme était fermé comme les portes de l’enfer. De toutes les grâces qu’elle avait en partage, Dieu ne lui avait pas donné la plus grande, celle de l’abandon. Elle écoutait avec une patience attendrie le récit de l’amour de Mme d’Anglure, mais elle ne rendait pas confidence pour confidence. Elle n’avait aucun des profits de l’amitié, elle n’en avait que la probité sincère ; car si, un soir, elle prit plaisir à faire renier à M. de Maulévrier son amour pour Mme d’Anglure, c’est que M. de Maulévrier s’était jeté lui-même dans cette voie de blasphèmes et qu’aucune femme n’eût résisté à la tentation d’une si enivrante volupté. Et si elle