Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/166

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jalousies du bonheur des autres, du bonheur de ceux qui pouvaient aimer ; elle se plaignit de l’ennui profond, terrible, inexorable, éternel qui frappait sa vie ; étala tout, s’insulta, fut vraie, fut naïve, elle, la grande Célimène de ce temps, et nul doute qu’elle eût fait pitié à une autre femme que la comtesse, à une autre qu’une créature sans intelligence et tout amour ! La comtesse ne comprit pas un mot de toute cette triste psychologie que le tact exercé de la marquise n’avait pourtant pu retenir. Pour cette pauvre et adorable amoureuse, dont la vocation avait été d’aimer, comme celle des roses est de sentir bon, les paroles de Mme de Gesvres étaient et durent rester de l’hébreu. Elle l’écouta en la regardant avec défiance, et quand la marquise, à qui le tact revenait peu à peu devant l’incrédulité têtue de cette femme qu’elle essayait follement de persuader en lui parlant une langue étrangère, s’arrêta, vaincue et repentante d’avoir parlé, la comtesse lui dit, avec une grande sécheresse :

— Vous avez certainement beaucoup plus d’esprit que moi, ma chère, mais ce que vous me contez là est incroyable ; et je ne vous crois pas.

— Adieu donc, Caroline, — fit Mme de Gesvres sans amertume et en se levant, car cette scène où elle s’était oubliée commençait de la fatiguer, et elle voyait dans ces airs de