Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/35

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tage ? Mme de Gesvres, qui jugeait un peu trop l’amour du point de vue commun à toutes les relations de la vie, croyait bonnement que l’esprit était la perle des dons que Dieu a répandus sur les femmes, et le Régent de leurs couronnes. Petit enfantillage égoïste, ordinaire aux personnes spirituelles qui ont la modestie d’ignorer que tout l’esprit du monde ou du diable ne vaut pas le plus léger mouvement d’éventail quand il s’avise d’être gracieux.

Et tout cela aurait dû, à ce qu’il semblait, donner à Mme de Gesvres l’intérêt de la visite qu’elle attendait le lendemain. Mais sa pensée était si lasse, la nuit l’affaissait tellement sur elle-même, qu’elle était aussi déprise de tout que jamais en regardant sans voir le cachet qui fermait la lettre de M. de Maulévrier.

À quoi pensait-elle ? — Elle ne pensait pas. Elle avait la torpeur de cet ennui qui noyait sa vie. Nulle préoccupation n’influait sur sa manière d’être. Nul pressentiment ne l’avertissait de la nouvelle ère que le lendemain commencerait pour elle. Les pressentiments n’atteignent jamais que les êtres chez qui l’imagination domine et le corps languit. Or, Mme de Gesvres avait beaucoup trop d’esprit pour avoir de l’imagination, et son corps ne languissait pas plus que les torses de Rubens.