Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/54

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elle ne s’illusionnait pas sur l’empire qu’une femme commence à prendre à trente ans avec un homme de l’âge et du monde de M. de Maulévrier. Elle était fausse avec lui, quoiqu’elle ne songeât qu’à le rendre heureux et à être heureuse comme lui par un amour vrai. Elle était fausse parce qu’elle voulait lui inspirer une passion dont elle eût ressenti l’influence, et qu’il faut mentir aux passions pour les exciter. De tous les mensonges avec lesquels on attise l’amour, elle répétait sur tous les tons, d’une voix qui semblait émue, celui avec lequel les femmes savent donner le vertige aux plus inébranlables cerveaux : « Je ne voudrais pour rien vous aimer. Ce serait là le plus grand malheur de ma vie. »

Cette manière d’être ne pouvait pas manquer d’agir très vivement sur M. de Maulévrier. Il n’avait jamais eu affaire à si forte partie ; il n’avait jamais connu que des femmes plus ou moins charmantes, mais plus ou moins vulgaires, malgré leur ramage d’oiseau bien appris et la distinction de leurs révérences. Mme d’Anglure, qui avait pris possession officielle de sa personne depuis deux ans, avait une tendresse d’âme incomparable ; mais cette tendresse naïve manquait d’adresse : mal irréparable, car il faudrait que les anges du ciel eux-mêmes, s’ils couraient les salons de Paris, eussent la rouerie de leurs plus divins sentiments. M. de Maulé-