Page:Barbey d’Aurevilly - L’Amour impossible, La Bague d’Annibal, Lemerre.djvu/91

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vait tant accoutumé à son désolant scepticisme qu’il n’eut pas d’abord tout le bonheur qu’un tel mot devait lui donner. Ils s’étaient longtemps promenés sur le balcon qui dominait le jardin de l’hôtel habité par elle. Il faisait le plus sentimental clair de lune ; mais ils n’étaient pas gens à regarder au ciel, comme dans Corinne : c’était là le moindre souci de leurs pensées. Ils étaient rentrés dans le boudoir jonquille, et s’étaient assis près de la porte du balcon laissée ouverte, par laquelle arrivaient, dans ce nid tiède et ambré d’une femme élégante, les bouffées pures et fraîches du jasmin et des chèvrefeuilles. On entendait le bruit des voitures qui gagnaient le boulevard de ce côté, et qui, dans l’éloignement et dans la nuit, rappellent si bien les grands murmures d’une mer agitée. Mais ni la nuit, ni les parfums du dehors, ni ces bruits qui ressemblent aux plus beaux qu’il y ait dans la nature, rien de tout cela n’influait sur les dispositions de ces deux enfants d’une civilisation raffinée, de ces deux âmes vieillies au sein d’une société positive et spirituelle, et n’ayant jamais vécu que sous des plafonds.

— Oui, je vous crois, — reprit-elle. — soyez heureux, si vous le pouvez, d’un pareil aveu, mais moi, vous le dirai-je, mon ami ? je n’éprouve point à croire que vous m’aimez réellement le bonheur sur lequel j’avais compté.