Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/112

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la main, semblent peser sur nos têtes. Jeanne ne vit rien qui justifiât les appréhensions de la Cocouan.

Elle passa de jour encore au Vieux Presbytère. Tout y était solitaire et silencieux. Seulement, sous une des grandes ouvertures de la cour, cintrée comme l’arche d’un pont et fermée autrefois par des portes colossales, maintenant arrachées de leurs énormes gonds, restés rouillés dans les murs, elle aperçut un de ces bergers rôdeurs, la terreur du pays, occupé à faire brouter à quelques maigres chèvres l’herbe rare qui poussait dans les cours vides de cette espèce de manoir.

Elle le reconnut. C’était un berger qui s’était, il y avait peu de temps, présenté chez maître Thomas Le Hardouey pour de l’ouvrage, et que maître Thomas avait durement repoussé, ne voulant pas, disait-il, employer des gens sans aveu. Le Hardouey partageait contre ces gens-là les préjugés de maître Tainnebouy, qui sont, du reste, les préjugés universels de la contrée. Mais, comme il était riche et puissant, il ne cachait pas ses antipathies, et il semblait provoquer les bergers à une lutte ouverte contre lui pour les accabler.

On lui avait plus d’une fois entendu dire, soit au moulin, chez Lendormi, soit à la forge, chez Dussaucey, le maréchal ferrant, qu’à la première mortalité de ses bêtes, au moindre malheur qui arriverait et qu’on pourrait imputer aux bergers, il en nettoierait le pays pour tout jamais. Certainement de telles paroles, que beaucoup de gens trouvaient imprudentes, n’étaient pas ignorées des hommes contre lesquels elles avaient