Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’opinion du pays, Clotilde s’était déshonorée, et le poids de son déshonneur devait, sans qu’on l’allégeât, rester sur elle, c’est que, fière de ses souvenirs comme elle l’avait été de sa beauté, la Clotte, ainsi qu’on l’appelait alors, aimait à tenir tête au mépris public en rappelant hardiment à quel monde elle s’était mêlée autrefois. Elle avait un respect exalté pour les anciennes familles éteintes, comme l’était celle des Feuardent. Vassale orgueilleuse de ceux qui l’avaient entraînée, elle gardait une espèce de fierté féodale même de son déshonneur. Vieille, pauvre, frappée de paralysie depuis la ceinture jusqu’aux pieds, elle avait toujours montré à chacun, dans ce pays, une hauteur silencieuse que sa honte n’avait pu courber. Les compagnes de ses désordres étaient mortes autour d’elle ; le château de Haut-Mesnil s’était écroulé, et la Révolution en avait dispersé les ruines ; les infirmités étaient venues ; elle s’était trouvée isolée au milieu d’une génération qui avait grandi et à qui, dès l’enfance, on l’avait montrée du doigt comme un objet de réprobation. Eh bien, malgré tout cela, Clotilde Mauduit, ou plutôt la Clotte, était restée tout ce qu’on l’avait connue dans sa coupable prospérité. Elle habitait une pauvre cabane à quelques pas du bourg de Blanchelande, la seule chose qu’elle eût au monde avec un petit courtil, dont elle faisait vendre les légumes et les fruits, et elle vivait là dans une méprisante et sourcilleuse solitude. Une voisine, qui calculait que, pour prix de ses attentions, la Clotte, en mourant, lui léguerait la petite maison ou le courtil, lui envoyait, chaque jour, sa fille, âgée de