Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/148

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point de mener la vie que nous menions à Haut-Mesnil. Ce n’étaient pas des délicats que les débauchés qui y vivaient ! L’amour de la Malgy pour Jéhoël, sa maladie, sa maigreur, sa langueur, qu’elle enflammait en buvant du genièvre comme on boit de l’eau quand on a soif, ce qui lui fit bientôt trembler les mains, bleuir les lèvres, perdre la voix, rien n’arrêta les forcenés dont elle était entourée. Ils aimaient, disaient-ils, à monter dans le clocher quand il brûle ! et ils se passaient de main en main cette mourante, dont chacun prenait sa bouchée, cette fille consumée, qui flambait encore par dedans, mais pas pour eux ! Ils l’ont tuée ainsi, l’infortunée ! Ça ne fut pas long… Mais pourquoi pâlissez-vous, Jeanne de Feuardent ? — s’écria, en s’interrompant, Clotilde Mauduit, épouvantée du visage de Jeanne. — Ah ! ma fille, Jéhoël a-t-il encore le don d’émouvoir les femmes, maintenant qu’il n’est plus le beau Jéhoël d’autrefois ? A-t-il encore cette puissance diabolique qu’on crut longtemps accordée par l’enfer à ce prêtre glacé, puisque, malgré le changement de son visage, vous pâlissez, ma fille, rien qu’à m’en entendre parler ?… »

La femme des passions avait vu l’éclair souterrain qu’elles jettent parfois du fond d’une âme.

« Ai-je donc pâli ? — fit Jeanne effrayée à son tour.

— Oui, ma fille, — dit la Clotte, pensive devant cette pâleur, comme le médecin pénétrant devant le premier symptôme du mal caché, — et, Dieu me punisse, je crois même que vous pâlissez encore ! »

Jeanne-Madelaine baissa les yeux et ne répondit