Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/157

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pour faire ce coup de lâches ! et, quoique je n’eusse déjà plus l’usage de mes jambes, ils furent obligés de me lier, avec la corde d’un licou, au poteau où l’on attache les chevaux pour les ferrer. J’avais bien aimé et choyé mon corps, mais la maladie et l’âge l’avaient brisé. Qu’étaient, pour moi, quelques poignées de cheveux gris de plus ou de moins ? Je les vis tomber, l’œil sec et sans mot dire ; mais je n’ai jamais oublié le son clair et le froid des ciseaux contre mes oreilles, et cela, que j’entends et je sens toujours, m’empêcherait, même à l’article de la mort, de pardonner.

— Ne te plains pas, Clotilde Mauduit, ils t’ont traitée comme les rois et les reines ! — dit ce singulier prêtre, qui avait le secret de consoler par l’orgueil les âmes ulcérées, comme s’il avait été un ministre de Lucifer au lieu d’être l’humble prêtre de Jésus-Christ.

— Et je ne me plains pas non plus, — fit-elle fièrement, — j’ai été vengée ! Tous les quatre sont morts de malemort, hors de leur lit, violemment et sans confession. Mes cheveux ont repoussé plus gris et ont couvert l’injure faite au front de celle qu’à Haut-Mesnil vous appeliez l’Hérodiade. Mais le cœur outragé est resté plus tousé que ma tête. Rien n’y a repoussé, rien n’y a effacé la trace de l’injure ressentie, et j’ai compris que rien n’arrache du cœur la rage de l’offense, pas même la mort de l’offenseur.

— Et tu as raison », — dit sombrement le prêtre, qui aurait dû, à ce qu’il semblait, faire couler l’huile d’une parole miséricordieuse sur cet opiniâtre ressentiment, et qui ne le faisait pas ; ce qui, par paren-