Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/160

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femme aller chez la Clotte, sur laquelle il partageait toutes les opinions du pays. Il fallait le caractère de Jeanne et l’empire de ce caractère sur un homme grossièrement passionné comme Le Hardouey pour qu’il supportât les visites que sa femme faisait à cette vieille, qui n’était bonne, pensait-il, qu’à monter la tête à une femme sage, et il n’en parlait jamais qu’avec une rancune concentrée.

« Ah ! la vieille Clotte, c’est une Chouanne, — dit-il, — et c’est trop juste qu’un ancien chef de Chouans aille la visiter dès son débotté dans le pays ! Elle en a caché plus d’un dans ses couvertures, la vieille gouge ! et les chouettes ne s’abattent que sur l’arbre où d’autres chouettes ont déjà perché. — Mais comme Jeanne prenait cet air sévère qui lui imposait toujours : — Vous aussi, Jeannine, — ajouta-t-il en riant d’un air faux, — vous êtes un petit brin aristocrate ; c’est de souche chez vous, et vous ne vous plaisez que trop avec des gens comme cette vision de Bréha de la Clotte et ce nouveau venu d’abbé.

— Ils ont connu mon père », — fit gravement Jeanne. Ce mot produisit l’effet qu’il produisait toujours entre eux, un silence. Le nom de son père était comme un bouclier sacré que Jeanne-Madelaine dressait entre elle et son mari, et qui la couvrait tout entière ; car, si ennemi des nobles qu’il fût, comme tous les hommes d’extraction populaire qui ne haïssent la noblesse que par vanité ou par jalousie, Thomas Le Hardouey était très flatté, au fond, d’avoir épousé une fille de naissance ; et le respect qu’elle avait