Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/206

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jamais ? Jeanne-Madelaine, cette femme d’un si grand sens autrefois, avait des rapports avec ces bergers ! Elle avait eu recours à leur assistance ! Humiliation des humiliations ! Le couteau qui l’atteignait au cœur entrait jusqu’au manche, et il ne pouvait le retirer !

« Tu mens ! fils de gouge ! — dit Le Hardouey, serrant la poignée en cuir de son pied de frêne dans sa main crispée ; — il faut que tu me prouves tout à l’heure ce que tu me dis.

— Vère ! — répondit l’imperturbable pâtre avec un feu étrange qui commença de s’allumer dans ses yeux verdâtres, comme on voit pointer un feu, le soir, derrière une vitre encrassée. — Mais qué que vous me payerez, maître Le Hardouey, si je vous montre que ce que je dis, c’est la pure et vraie vérité ?

— Ce que tu voudras ! — dit le paysan dévoré du désir qui perd ceux qui l’éprouvent, le désir de voir son destin.

— Eh bien ! — fit le berger, — approchez, maître, et guettez ichin ! »

Et il tira encore du bissac d’où il avait tiré l’épinglette un petit miroir, grand comme la mirette d’un barbier de village, entouré d’un plomb noirci et traversé d’une fente qui le coupait de gauche à droite. L’étamage en était livide et jetait un éclat cadavéreux. Il est vrai aussi que les empâtements rouges du couchant devenu venteux s’éteignaient et que la lande commençait d’être obscure.

« Qu’est-ce donc que tu tiens ? — dit Le Hardouey ; — on n’y voit plus.