Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/208

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— Allez ! guettez, ne vous lassez, — répétait toujours le berger qui tenait le miroir.

— V’là que je revois ! — dit le fermier… — Il brille une flamme. On dirait qu’ils ont allumé quelque chose… Ah ! c’est du feu dans la cheminée… — Mais la voix de Thomas Le Hardouey s’étrangla, et son corps eut des tremblements convulsifs.

— Il faut dire ce que vous véyez, — dit l’implacable pâtre, — autrement le sort va s’évanir.

C’est eux, — fit Le Hardouey d’une voix faible comme celle d’un homme qui va passer. — Que font-ils là-bas à ce feu qui flambe ? Ah ! ils ont remué… La broche est mise et tourne…

— Et qué qu’y a à c’te broche qui tourne ?… — demanda le pâtre avec sa voix glacée, une voix de pierre, la voix du destin ! — Ne vous lassez, que je vous dis… Guettez toujours, nous v’là à la fin.

— Je ne sais pas, — dit Le Hardouey qui pantelait, — je ne sais pas… On dirait un cœur… Et, Dieu me damne ! je crois qu’il vient de tressauter sur la broche quand ma femme l’a piqué de la pointe de son couteau.

— Vère, c’est un cœur qu’ils cuisent, — fit le pâtre, — et ch’est le vôtre, maître Thomas Le Hardouey ! »

La vision était si horrible que Le Hardouey se sentit frappé d’un coup de massue à la tête, et il tomba à terre comme un bœuf assommé. En tombant, il s’empêtra dans les rênes de son cheval, qu’il retint ainsi du poids de son corps, lequel était fort et puissant. Pas de doute que, sans cet obstacle, le cheval épou-