Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/219

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journée. Le lavoir n’était pas tout à fait sur la route qu’avait à suivre Simone Mahé pour regagner le bas du bourg, mais la flânerie, qui est aux vieilles femmes ce qu’est dans le nez du buffle l’anneau de fer par lequel on le mène, fit suivre à la Mahé le chemin du lavoir avec l’autre commère.

« Je sis de l’aisi, — lui dit-elle ; — M. l’abbé de la Croix-Jugan est à Montsurvent depuis hier soir. Si vous v’lez que je vous aide, mère Ingou, je puis bien vous donner un coup de battoir. »

Et elle l’accompagna, moins pour l’aider, quoiqu’elle ne manquât pas de l’obligeance qu’ont les pauvres gens entre eux, que pour lui raconter ce qui lui démangeait la langue et ce qu’elle appelait la lubie de maître Thomas Le Hardouey.

« En vous en venant, — dit-elle, — vous n’avez pas rencontré maître Le Hardouey, mère Ingou ?… Je l’ai trouvé, dès le réveil-minet, planté à la porte de M. l’abbé de la Croix-Jugan, plus pâle que le linge que vous avez sur le dos et les yeux tout troublés. « Qu’est-ce qu’un homme sans religion, un acquéreur de biens de prêtre, un terroriste, vient faire de si à bonne heure chez M. de la Croix-Jugan ? » que je me suis dit à mon à-part ; mais, ma chère, les jambes me tremblent rien que d’y penser ! C’n’était rien que l’air qu’il avait. Il est entré avec moi dans la salle de M. l’abbé, et alors !!!… »

Et elle raconta ce qu’elle avait vu, mais avec des circonstances nouvelles et plus horribles encore, écloses tout à coup sur cette langue de flânière, qui chante d’elle-même, comme les oiseaux, un langage