Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/222

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pas paoû de tremper vot’ linge dans de l’iau de mort, v’là vot’ pierre ; lavez !

— Quéque vous voulez dire avec votre iau de mort, berger ? — dit la mère Ingou, laquelle ne manquait ni d’un certain bon sens ni de courage. — Est-ce que vous pensez nous épeurer ?

— Que nenni ! — dit le pâtre, — faites ce qui vous plaira, mais je vous dis, mé, que si vous trempez votre linge ichin, i’ sentira longtemps la charogne, et même quand il sera séquié !

— V’là de vilains propos si matin, sous cette sainte lumière bénie du bon Dieu ! — dit la bonne femme avec une poésie naïve dont certainement elle ne se doutait pas. — Laissez-nous en paix, pâtre ! J’ n’ai jamais vu l’iau si belle qu’à ce matin. »

Et, de fait, le lavoir, encaissé par un côté dans l’herbe, étincelait de beaux reflets d’agate, sous le ciel d’opale d’une aube d’été. Sa surface lisse et pure n’avait ni une ride, ni une tache, ni une vapeur. Quant à l’autre côté du lavoir, comme l’eau de pluie qui le formait n’était pas contenue par un bassin pavé à cet effet, elle allait se perdre dans une espèce de grand fossé couvert de joncs, de cresson et de nénuphars.

« Vère, — reprit le berger pendant que la mère Ingou dénouait son paquet au bord du lavoir et que Simone Mahé et la petite, moins courageuses, commençaient de regarder avec inquiétude ce pâtre de malheur, planté là, debout, devant elles, — vère, l’iau est belle comme bien des choses au regard, mais au fond…, mauvaise ! Quand tout à l’heure j’af-