Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/225

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tourné autour de la pièce d’eau, à moitié circulaire, et il montrait sa face blafarde par-dessus les roseaux, qui de ce côté étaient d’une certaine hauteur.

« Oh ! ohé ! les buandières ! — leur cria-t-il, — guettez ichin ! et voyez si je n’avais pas raison de dire que l’iau était pourrie. Connaissez-vous cha ? »

Et, par-dessus le lavoir, il leur tendit un objet blanc qui pendait à sa gaule ferrée.

« Sainte Vierge ! — s’écria la mère Ingou, — c’est la coiffe de Jeanne Le Hardouey !

— Ah ! que le bon Dieu ait pitié de nous ! — ajouta Simone. — Il n’y a jamais eu qu’une coiffe pareille dans Blanchelande, et la v’là ! Queu malheur ! mon Dieu ! Oh ! c’est bien certain que celle qui la portait s’est périe et qu’elle doit être au fond du lavoir ! »

Et au risque d’y tomber elles-mêmes elles se penchèrent sur sa surface et atteignirent la coiffe déchirée et mouillée qui pendillait à la gaule ferrée du berger. Elles l’examinèrent. C’était en effet la coiffe de Jeanne, son fond piqué et brodé, ses grands papillons et ses belles dentelles de Caen. Elles la touchaient, l’approchaient de leurs yeux, l’admiraient, puis se désolaient ; et bientôt, mêlant la perte de la femme à la perte de la coiffe, elles se répandirent en toutes sortes de lamentations.

Quant au berger, il était entré dans l’eau jusqu’au genou, et il sondait le lavoir, tout autour de lui, avec son bâton.

« Elle n’est pas de votre côté. Elle est là… — cria-t-il aux trois femmes qui s’éploraient sur l’autre