Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/237

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sordide, qui saisissait l’occasion de vendre cher une belle chevelure à ces marchands de cheveux qui s’en vont, traversant les campagnes et moissonnant, pour quelques pièces d’argent, les chevelures des jeunes filles pauvres ? ou plutôt, comme le croyait maître Tainnebouy, ces cheveux d’une femme morte d’un sort devaient-ils servir à quelque sortilège et devenir dans les mains de ce berger quelque redoutable talisman ? Ce fut Nônon Cocouan qui la première s’aperçut du larcin fait à la noble tête appuyée sur le gazon.

« Ah ! le pâtre s’est vengé jusqu’au bout ! » — dit-elle. En effet, ces cheveux coupés paraissaient à ces paysans comme un meurtre de plus. Chacun d’eux commentait cette mort soudaine et s’apitoyait sur le sort d’une femme qui avait mérité l’affection de tous. Les gens du Clos, au premier bruit de la mort de leur maîtresse, étaient arrivés. Seul, le mari de Jeanne, maître Le Hardouey, manquait encore. Reparti la veille, on le sait, au moment où il rentrait au Clos d’un galop si farouche, quand on lui avait dit sa femme absente, il n’avait point reparu… Son cheval seul était revenu, couvert de sueur, les crins hérissés, traînant sa bride dans laquelle il se prenait les pieds en courant. Or, comme maître Le Hardouey n’était point aimé dans Blanchelande, on se demandait déjà à voix basse, et à mots couverts, si cette mort de Jeanne n’était pas un crime, et si le coupable n’était point ce mari qui ne se trouvait pas…

Depuis longtemps les bruits du pays avaient dû mettre martel en tête à Le Hardouey. Cet homme,