Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/240

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tés de l’existence, et que la Religion donne en prix à ceux qui ont la foi ! Nônon Cocouan sentait cet arome de la bonté de Dieu se mêler aux larmes qu’elle répandait sur Jeanne, et les adoucir. La matinée s’avançait avec splendeur. C’était une des plus belles journées d’été qu’on eût vues depuis longtemps : l’air était pur ; le lavoir, diaphane ; les herbes sentaient bon ; la chaleur montait dans les plantes ; les insectes, attirés par l’immobilité de Jeanne, bourdonnaient autour de ce corps étendu avec une grâce de fleur coupée ; et Nônon, assise à côté et par moment agenouillée, tenant son chapelet dans ses mains jointes, priait Celle qui a pitié encore lorsque Dieu ne se rappelle que sa justice ; car le don que Dieu a fait à sa Mère, c’est d’avoir pitié plus longtemps que lui ! De temps en temps, cette mystique de village élevait ses yeux, beaux encore et d’un bleu que le feu du cœur avait, en les incendiant autrefois, rendu plus macéré et plus chaste, vers cet autre bleu éternel que rien ne ternit, ni siècles ni orages ; vers ce ciel d’un azur étincelant alors, à travers lequel elle voyait Jeanne se pencher vers elle et affectueusement lui sourire. Assis comme elle, par terre, à quelque distance, le grand valet du Clos se tenait dans cette stupeur accablée que cause aux natures vulgaires le voisinage de la mort. Pour le préserver d’un soleil qui devenait plus vif, Nônon avait recouvert le visage de Jeanne de ce tablier de cotonnade rouge que la Clotte avait déchiré en s’efforçant de la retenir. Seul lambeau de pourpre grossière que la destinée laissait, pour la couvrir, à cette fille noble qui avait empri-