Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/250

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poteau du marché et qui avaient fait tomber sous d’ignobles ciseaux, en 1793, une chevelure dont elle avait été bien fière. Cet homme était mort de mort violente peu de temps après son injure, et sa mort, imputée vaguement à la Clotte par des parents superstitieux, passionnés, et en qui les haines de parti s’ajoutaient encore à l’autre haine, devait rendre le fils implacable.

« Non ! — dit-il, — tu ferais tourner l’eau bénite, vieille sorcière ! tu ne mets jamais le pied à l’église, et te v’là ! Es-tu effrontée ! Et est-ce pour maléficier aussi son cadavre que tu t’en viens, toi qui ne peux plus traîner tes os, à l’enterrement d’une femme que tu as ensorcelée, et qui n’est morte peut-être que parce qu’elle avait la faiblesse de te hanter ? »

L’idée qu’il exprimait saisit tout à coup cette foule, qui avait connu Jeanne si malheureuse et qui n’avait pu s’expliquer ni l’égarement de sa pensée, ni la violence de son teint, ni sa mort aussi mystérieuse que les derniers temps de sa vie. Un long et confus murmure circula parmi ces têtes pressées dans le cimetière et qu’un pâle rayon de soleil éclairait. À travers ce grondement instinctif, les mots de sorcière et d’ensorcelée s’entendirent comme des cris sourds qui menaçaient d’être perçants tout à l’heure… Étoupes qui commençaient de prendre et qui allaient mettre tout à feu.

Il n’y avait plus là de prêtres ; ils étaient rentrés dans l’église ; il n’y avait plus là d’homme qui, par l’autorité de sa parole et de son caractère, pût s’op-