Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/252

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Mais renversée, les yeux pleins du sang de son front ouvert, elle se releva sur ses poignets de toute la hauteur de son buste.

« Lâches ! » — cria-t-elle, quand une seconde pierre, sifflant d’un autre côté de la foule, la frappa de nouveau à la poitrine et marqua d’une large rosace de sang le mouchoir noir qui couvrait la place de son sein.

Ce sang eut, comme toujours, sa fascination cruelle. Au lieu de calmer cette foule, il l’enivra et lui donna la soif avec l’ivresse. Des cris : « À mort, la vieille sorcière ! » s’élevèrent et couvrirent bientôt les autres cris de ceux qui disaient : « Arrêtez ! non ! ne la tuez pas ! » Le vertige descendait et s’étendait, contagieux, dans ces têtes rapprochées, dans toutes ces poitrines qui se touchaient. Le flot de la foule remuait et ondulait, compacte à tout étouffer. Nulle fuite n’était possible qu’à ceux qui étaient placés au dernier rang de cette tassée d’hommes ; et ceux-là curieux, et qui discernaient mal ce qui se passait au bord de la fosse, regardaient par-dessus les épaules des autres et augmentaient la poussée. Le curé et les prêtres, qui entendirent les cris de cette foule en émeute, sortirent de l’église et voulurent pénétrer jusqu’à la tombe, théâtre d’un drame qui devenait sanglant. Ils ne le purent. « Rentrez, monsieur le curé, — disaient des voix ; — vous n’avez que faire là ! C’est la sorcière de la Clotte, c’est cette profaneuse dont on fait justice ! Je vous rendrons demain votre cimetière purifié. »

Et, en disant cela, chacun jetait son caillou du