Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/265

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Mahé. — Il était dans son grand fauteuil, au bord de l’âtre. , j’étais assise sur mes sabots, et je soufflais le feu. J’avais sa voix qui me parlait au-dessus de ma tête et je n’osais guère me retourner pour le voir, car, quoiqu’un chien regarde bien un évêque, che n’est pas un homme bien commode à dévisager. I’ m’ demanda qué qu’il était arrivé à la Clotte, et quand j’lui eus dit qu’elle avait eu le cœur d’aller à l’enterrement de maîtresse Le Hardouey, et que ch’était au bénissement de la tombe qu’ils avaient commencé à la pierrer, oh ! alors… savait-il déjà c’te mort de maîtresse Le Hardouey, ou l’ignorait-il ? mais qui m’attendais à un apitoiement de la part de qui, comme lui, avait connu, et trop connu, maîtresse Le Hardouey, je fus toute saisie du silence qui se fit dans la salle, car il ne répondit pas tant seulement une miette de parole. Le bois qui prenait craquait, craquait, et je soufflais toujours. La flamme ronflait ; mais je n’entendais que cha, et i’ n’ remuait pas pus qu’une borne ; si bien que j’ m’ risquai à m’retourner, mais je n’ m’y attardai guère, ma pauvre Nônon, quand j’eus vu ses deux yeux de cat sauvage. Je visai encore un tantet dans la salle ; mais ses yeux et son corps ne bougèrent et je le laissai, regardant toujours le feu avec ses deux yeux fixes, qui auraient mieux valu que mes vieux soufflets pour allumer mon fagot.

— V’là tout ? — fit Nônon triste et déçue.

— V’là tout, vère ! — reprit la Mahé en laissant glisser la chaîne du puits, qui emporta le seau au fond du trou frais et sonore, en retentissant le long de ses parois verdies.