Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/267

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d’habitudes qui ne changèrent pas. L’abbé de la Croix-Jugan resta ce qu’on l’avait toujours connu, et ni plus ni moins. Cloîtré dans sa maison de granit bleuâtre, où il ne recevait personne, il n’en sortait que pour aller à Montsurvent, dont les tourelles, disaient les Bleus du pays, renfermaient encore plus d’un nid de chouettes royalistes ; mais jamais il n’y passait de semaine entière, car une des prescriptions de la pénitence qui lui avait été infligée était d’assister à tous les offices du dimanche dans l’église paroissiale de Blanchelande, et non ailleurs. Que de fois, quand on le croyait retenu à Montsurvent par une de ces circonstances inconnues qu’on prenait toujours pour des complots, on le vit apparaître au chœur, sa place ordinaire, enveloppé dans sa fière capuce : et les éperons qui relevaient les bords de son aube et de son manteau disaient assez qu’il venait de quitter la selle. Les paysans se montraient les uns aux autres ces éperons si peu faits pour chausser les talons d’un prêtre, et que celui-ci faisait vibrer d’un pas si hardi et si ferme ! Hors ces absences de quelques jours, l’abbé Jéhoël, ce sombre oisif auquel l’imagination du peuple ne comprenait rien, tuait le temps de ses jours vides à se promener, des heures durant, les bras croisés et la tête basse, d’un bout de la salle à l’autre bout. On l’y apercevait à travers les vitres de ses fenêtres ; et il lassa plus d’une fois la patience de ceux qui, de loin, regardaient cet éternel et noir promeneur.

Souvent aussi il montait à cheval, au déclin du jour, et il s’enfonçait intrépidement dans cette lande