Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/270

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Et, comme il cessait de parler, les deux chiens qui dormaient au bord de la braise, le nez allongé sur leurs pattes, se mirent à grogner.

« Paix, Gueule-Noire ! — dit le pâtre qui avait parlé le premier et qui n’était autre que le pâtre du Vieux Presbytère. — I gn’y a pas de moutons à voler, mes bêtes ; dormez. »

Il faisait noir comme dans la gueule de ce chien qu’il venait de nommer Gueule-Noire, et qui portait ce signe caractéristique de la férocité de sa race. Les bergers virent une ombre vague qui se dessinait assez près d’eux dans le clair-obscur d’un ciel brun. Seulement, comme la pureté de l’air dans la nuit double la valeur du son et en rend distinctes les moindres nuances :

« Il est donc toujours de ce monde, cet abbé de la Croix-Jugan ? — dit une voix derrière les bergers, — et vous, qui savez tout, pâtureaux du diable, diriez-vous, à qui vous payerait bien cette bonne nouvelle, s’il doit prochainement en sortir ?

— Ah ! vous v’là donc revenu ! maître Le Hardouey, — fit le pâtre sans même se retourner du côté de la voix, et les mains toujours étendues sur la braise, — v’là treize mois que le Clos chôme de vous ! Que vous êtes donc tardif, maître ! et comme les os de votre femme sont devenus mous en vous espérant ! »

Était-ce vraiment Le Hardouey qui était là dans l’ombre ? On aurait pu en douter, car il était violent et il ne répondait pas.

« Ah ! j’ nous sommes donc ramolli itou ? » —