Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/272

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disaient ce que vous étiez… Vous avez du pouvoir. Je l’ai éprouvé… Eh bien ! je viens livrer ma vie et mon âme, pour toute l’éternité, au Maudit, votre maître, si vous voulez jeter un de vos sorts à cet être exécré d’abbé de la Croix-Jugan ! »

Les trois bergers se mirent à ricaner avec mépris en se regardant de leurs yeux luisants aux reflets incertains du brasier.

« Si vous n’avez que cha à nous dire, maître Le Hardouey, — reprit le berger du Vieux Presbytère, — vous pouvez vous en retourner au pays d’où vous venez et ne jamais remettre le pied dans la lande, car les sorts ne peuvent rien sur l’abbé de la Croix-Jugan.

— Vous n’avez donc pas de pouvoir ? — dit Le Hardouey ; — vous n’êtes donc plus que des valets d’étable, de sales racleurs de ordet à cochon ?

— Du pouvai ! j’ n’en avons pas contre li, — dit le pâtre, — il a sur li un signe plus fort que nous !

— Quel signe ? — repartit l’ancien propriétaire du Clos. — Est-ce son bréviaire, ou sa tonsure de prêtre ?… »

Mais les bergers restèrent dans le silence, indifférents à ce que disait Le Hardouey de la perte de leur pouvoir et à ses insultantes déductions.

« Sans-cœur ! » fit-il.

Mais ils laissèrent tomber l’injure, opiniâtrement silencieux et immobiles comme les pierres sur lesquelles ils étaient assis.

« Ah ! du moins, — continua Le Hardouey après une pause, — si vous ne pouvez faire de lui ce