Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/275

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme un mastic, avec mes dents. En attendant, v’là pour ta peine, puisque enfin tu as causé, bouche têtue ! »

Et il jeta, au milieu du cercle des bergers, quelque chose qui retentit comme de l’argent en tombant dans le feu qui s’éparpilla… Puis il s’éloigna, grand train, dans la lande, s’y fondant presque, tant il fit peu de bruit, en s’y perdant ! Il en connaissait les espaces et les sentiers pleins de trahisons. Que de préoccupations et d’images cruelles l’y avaient suivi déjà ! Cette nuit-là, la lande à l’effrayante physionomie lui avait dit son dernier mot avec le dernier mot du pâtre. Il la traversait le cœur si plein qu’il ne dut pas entendre la vieille mélopée patoise des bergers, qui se mirent à la chanter hypocritement, en comptant peut-être les pièces qu’ils avaient retirées du feu :

Tire lire lire, ma cauche (ma chausse) étrille !
Tire lire lire, raccommod’-l’an (la) !
Tire lire lire, j’ n’ai pas d’aiguille !
Tire lire lire, achete-z-en !
Tire lire lire, j’ n’ai pas d’argent ! etc., etc.

Quand ils racontèrent cette histoire à maître Tainnebouy, ils dirent qu’ils avaient laissé l’argent dans la braise, les coutumes de leur tribu ne leur permettant pas de prendre d’argent pour aucune pronostication. Comme on ne l’y retrouva point, et que pourtant on retrouvait ordinairement très bien, au matin, les ronds de cendre qui marquaient, dans la lande, les places où les bergers avaient allumé leur tourbe pendant la nuit, on dit que ce feu des sorciers, très parent du