Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/285

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Nul, alors, ne pensa à ses crimes. Nul n’osa garder dans un repli de son âme subjuguée une mauvaise pensée contre lui. Il était digne des pouvoirs que lui avait remis l’Église, et le calme de sa grandeur, quand il monta les marches de l’autel, répondit de son innocence. Impression éphémère, mais pour le moment toute-puissante ! On oublia Jeanne Le Hardouey. On oublia tout ce qu’on croyait il n’y avait qu’un moment encore.

Entrevu à l’autel à travers la fumée d’azur des encensoirs, qui vomissaient des langues de feu de leurs urnes d’argent balancées devant sa terrible face, sur laquelle le sentiment de la messe qu’il chantait commençait de jeter des éclairs inconnus qui s’y fixaient comme des rayons d’auréole et faisaient pâlir l’éclat des flambeaux, il était le point culminant et concentrique où l’attention fervente et respectueuse de la foule venait aboutir. Le timbre profond de sa voix retentissait dans toutes les poitrines. La lenteur de son geste, sa lèvre inspirée, la manière dont il se retournait, les bras ouverts, vers les fidèles, pour leur envoyer la paix du Seigneur, toutes ces sublimes attitudes du prêtre qui prie et qui va consacrer, et dans lesquelles le sublime de sa personne, à lui, s’incarnait avec une si magnifique harmonie, prenaient ces paysans hostiles et fondaient leur hostilité au point qu’il n’y paraissait plus…

La messe s’avançait cependant, au milieu des alleluia d’enthousiasme de ce grand jour… Il avait chanté la Préface. Les prêtres qui l’assistaient dirent plus tard que jamais ils n’avaient entendu sortir de tels accents