Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/287

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les têtes tournées, les uns voulant voir ce qui se passait à l’autel, les autres regardant d’où le coup de feu était parti ; le double reflux de cette foule, qui oscillait du chœur au portail, tout cela formait un inexprimable désordre, comme si l’incendie eût éclaté dans l’église ou que la foudre eût fondu les plombs du clocher !

« L’abbé de la Croix-Jugan vient d’être assassiné ! » Tel fut le mot qui vola de bouche en bouche. La comtesse de Montsurvent, qui avait le courage de ceux de sa maison, tenta de pénétrer jusqu’au chœur, mais ne put percer la foule amoncelée.

« Fermez les portes ! arrêtez l’assassin ! » criaient les voix. Mais on n’avait vu ni arme ni homme. Le coup de fusil avait été entendu. Il était parti du portail, tiré probablement par-dessus la tête des fidèles prosternés ; et celui qui l’avait tiré avait pu s’enfuir, grâce au premier moment de surprise et de confusion. On le cherchait, on s’interrogeait.

Le chaos s’emparait de cette église, qui résonnait, il n’y avait que quelques minutes, des chants joyeux d’alleluia… Il y avait deux scènes distinctes dans ce chaos : la foule qui se gonflait au portail ; et à la grille du sanctuaire, dans le chœur, les prêtres jetés hors de leurs stalles, et les chantres, pâles, épouvantés, entourant le corps inanimé, et les deux diacres, debout auprès, pâles comme des linceuls, en proie à l’indignation et à l’horreur ! Un crime affreux aboutissait à un sacrilège ! L’hostie, teinte du sang, était tombée à côté du calice. Le curé de Varenguebec la prit et communia.