Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/43

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et tirer de la poche de son manteau à manches une petite lanterne d’écurie qu’il alluma. Aidé de la lueur de cette lanterne, il souleva, l’un après l’autre, les pieds de son cheval, et il s’écria que le pied de devant était déferré !

« Et peut-être depuis longtemps, — ajouta-t-il en répétant l’observation qu’il avait déjà faite ; — car sur ce sol poussiéreux on perdrait les quatre fers de son cheval qu’on ne s’en apercevrait pas ! Il est probable que c’est de ce pied-là que la bête se sera piquée. Seulement, — fit-il inquiet, — je ne vois rien. »

Et il approchait sa lanterne, et il regardait la corne du cheval, comme un maréchal-ferrant l’aurait fait :

« Je ne vois rien, ni sang, ni enflure, et cependant la pauvre bête pose à peine le pied à terre et paraît diantrement souffrir ! »

Il la prit au défaut du mors et la fit marcher en l’attirant à lui. Mais la jument, si fringante il n’y avait qu’un moment, boitait d’une façon lamentable, et vraiment il y avait raison de craindre qu’elle ne pût continuer son chemin.

« Nous voilà bien ! — dit-il encore, mais avec l’accent d’une contrariété que je comprenais, et que même je commençais à partager, — nous voilà bien, à mittan de la lande, avec un cheval qui boite, et sans âme qui vive, ni maison, ni rien, à deux lieues à la ronde, et un fier bout de route à faire encore ! La première forge que nous trouverons est à un quart de lieue de la Haie-du-Puits. C’est amusant ! Qu’allons-nous devenir ? Le diable m’emporte si je le sais ! Je n’ai pas d’envie de mettre la Blanche sur la litière