Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/56

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un peu ému, je l’avoue, de cette sinistre clameur d’airain dans la nuit, — on sonne à cette heure : serait-ce le feu ?

— Non, — répondit-il, — ce n’est pas le feu. Le tocsin sonne plus vite, et ceci est lent comme une agonie. Attendez ! voilà cinq coups ! en voilà six ! en voilà sept ! huit et neuf ! C’est fini, on ne sonnera plus.

— Qu’est-ce que cela ? — fis-je. — La cloche à cette heure ! C’est bien étrange. Est-ce que les oreilles nous corneraient, par hasard ?…

— Vère ! étrange en effet, mais réel ! — répondit, d’une voix que je n’aurais pas reconnue si je n’avais pas été sûr que c’était lui, maître Louis Tainnebouy, qui marchait à côté de moi dans la nuit et le brouillard ; — voilà la seconde fois de ma vie que je l’entends, et la première m’a assez porté malheur pour que je ne puisse plus l’oublier. La nuit où je l’entendis, monsieur, il y a des années de ça, c’était de l’autre côté de Blanchelande, et minute pour minute, à cette heure-là, mon cher enfant, âgé de quatre ans et qui semblait fort comme père et mère, mourait de convulsions dans son berceau. Que m’arrivera-t-il cette fois ?

— Qu’est donc cette cloche de mauvais présage ? — dis-je à mon Cotentinais, dont l’impression me gagnait.

— Ah ! — fit-il, — c’est la cloche de Blanchelande qui sonne la messe de l’abbé de la Croix-Jugan.

— La messe, maître Tainnebouy ! — m’écriai-je. — Oubliez-vous que nous sommes en octobre, et non