Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/81

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Et ils s’en allèrent. Qu’arriva-t-il après leur départ ? un tel détail n’importe guère à cette histoire. Qu’on sache seulement que le Chouan défiguré ne mourut pas. Le rayonnement des balles de l’espingole lui avait sauvé la vie. L’enflure du visage, qui cachait ses yeux quand les Bleus poudrèrent ses plaies avec du feu, le sauva de la cécité[1]. Après la guerre de la Chouannerie, et lorsqu’on rouvrit les églises, on le vit un jour se dresser dans une stalle, aux vêpres de Blanchelande, enveloppé dans un capuchon noir. C’était l’ancien moine de l’abbaye dévastée : le fameux abbé de la Croix-Jugan.


  1. Historique. Les faits qu’on vient de retracer sont arrivés à un chef chouan, parent de celui qui écrit ces lignes ; et, d’ailleurs, ce n’est pas le seul épisode des guerres de la Chouannerie qui rappelle, par son atrocité, les effroyables excès des Écorcheurs, la guerre des Paysans en 1525, etc., etc. Malgré les impostures des civilisations, il y a dans le cœur de l’homme une barbarie éternelle. Les derniers événements (décembre 1851) nous ont appris qu’en fait d’horreurs passées l’homme est toujours prêt à recommencer demain. Moins que jamais, il ne serait permis de voiler ces peintures ou d’en affaiblir l’énergie. Elles appartiennent à l’histoire, et c’est un enseignement sacré. (Note de l’auteur.)