Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/90

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que celle qu’elle chassait devant ses flambeaux. Quand elle descendit dans la grande allée pour rentrer au chœur, Jeanne-Madelaine voulut se raidir et s’affermir contre la sensation que lui avait faite l’effroyable prêtre au capuchon, elle se détourna aux trois quarts pour le revoir passer… Il repassa avec le cortège, muet, impassible dans sa pose de marbre, et le second regard qu’elle lui jeta enfonça dans son âme l’impression d’épouvante qu’y avait laissée le premier. Malgré la solennité de la cérémonie, malgré les chants de fête et les gerbes de lumière qui jaillissaient du chœur, le recueillement ou l’émotion des pensées édifiantes ne put rentrer dans l’âme troublée de Jeanne Le Hardouey. Au lieu de s’unir aux chants des fidèles ou de se réfugier dans une prière, elle cherchait par-dessus les épaules chaperonnées d’écarlate des confrères du Saint-Sacrement qui suivaient le dais et qui envahissaient le chœur, par-dessus les feux fumants de leurs cierges tors de cire jaune qui vibraient comme des feux de torches dans l’air ému par les voix, le prêtre inconnu, au capuchon noir, alors à genoux, près de l’officiant, sur les marches du maître-autel, toujours rigide comme la statue du Mépris de la vie taillée pour mettre sur un tombeau. Aux yeux d’une âme faite comme celle de Jeanne, ce prêtre inouï semblait se venger de l’horreur de ses blessures par une physionomie de fierté si sublime qu’on en restait anéanti comme s’il avait été beau ! Jeanne ne savait pas ce qu’elle avait, mais elle succombait à une fascination pleine d’angoisse. Quand l’officiant monta les degrés et, prenant le Saint-Sacrement