Page:Barbey d’Aurevilly - L’Ensorcelée, Lemerre, 1916.djvu/93

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abbé… attendez ! comment qu’il s’appelle ? l’abbé de la Croix-Gingan, ou Engan, c’est un nom quasiment comme ça… d’être évêque ; mais il ne veut rien être que sous le Roi — (et ici Nônon baissa la voix, comme si elle eût craint de dire tout haut ce nom proscrit). — Il a parlé de louer la petite maison du bonhomme Bouët, qui est tout contre le prieuré. Alors, ma chère madame Le Hardouey, ce serait un desservant de plus que nous aurions à la paroisse ; mais, que Dieu me pardonne si je l’offense ! il me semble que je ne pourrais pas aller à confesse à lui, quéque méritant et exemplaire qu’il pût être. Je ne puis pas dire ce que ça me ferait de voir sa figure auprès de la mienne à travers le viquet du confessionnal. M’est avis que j’aurais toujours peur, en recevant l’absolution, de penser plus au diable qu’au bon Dieu !

— Pour une fille pieuse comme vous, Nônon, — fit gravement Jeanne Le Hardouey, — vous avez là une mauvaise idée. Vous savez bien que ce n’est pas à l’homme dans le prêtre qu’on se confesse, mais à Dieu.

— J’sais bien qu’ils le disent au catéchisme et dans la chaire, — répondit Nônon, — mais le bon Dieu ne demande pas plus que force, et j’sens qu’il me serait impossible de me confesser également à tous les prêtres. La confiance ne se commande pas. »

Elles étaient arrivées, en parlant ainsi, à l’extrémité du cimetière qui entourait l’église et qui se fermait de ce côté par un échalier. Il n’était pas nuit, mais le jour se retirait peu à peu du ciel.