Page:Barbey d’Aurevilly - Le Cachet d’onyx, Léa, 1921.djvu/78

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genre de vie si opposé à toutes ses habitudes d’une date moins récente étaient la cause de sa tristesse. « Si je lui disais ce que j’ai, — pensait-il, — soit pour sa sœur, soit pour moi, il me tourmenterait de partir. » Ainsi la confiance de l’amitié ne lui était plus bonne à rien, c’est-à-dire l’amitié elle-même. Ce n’est pas un des moindres sacrilèges d’un amour de femme que de nous flétrir nos plus fraîches amitiés sans miséricorde, et de nous faire rire de mépris sur nous-mêmes quand nous songeons que si peu nous avait suffi pour être heureux.

Depuis le jour où Léa avait été témoin du désespoir de Réginald, que s’était-il passé en elle ? Son air était moins vague qu’à l’ordinaire, et dans ses paupières, plus souvent abaissées, on aurait cru du recueillement ; car on baisse les yeux quand on regarde en soi : est-ce pour mieux voir ou bien parce que l’on a vu ? Une intuition de femme lui aurait-elle révélé ce que Réginald n’avait trahi qu’à moitié ? Dans l’obscurité de son âme, aurait-elle trouvé une seule de ses impressions ignées qui s’étendent d’abord d’un point imperceptible à l’être humain tout entier ? Elle n’avait plus ces yeux singuliers dont il n’y avait de doux que la teinte et qui semblaient manquer