Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/123

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C’est que l’auteur des Horizons célestes a peut-être plus senti la vie que Dante lui-même, et plus senti aussi la consolation et l’espoir enfermés dans le mystère de la Croix ! Sombre Maudissant, si ce n’est un Maudit, Dante m’a toujours produit l’effet d’un inconsolable. Il rallumerait la foudre éteinte — avec son cœur — qu’elle aurait frappé. L’âme d’une femme, inférieure à la sienne par ce qu’on appelle le génie, peut bien avoir sur l’âme du Dante la supériorité de la douleur et de l’amour. Oui, une femme dont nous ne savons pas l’histoire, et qui l’a gardée dans les chastes parois de sa poitrine, tandis que, comme un pélican, Dante entr’ouvrait la sienne pour nourrir de ses souffrances, l’univers avide et charmé, a peut-être plus aimé Dieu et plus cruellement éprouvé la vie que cet aigle muselé si fièrement contre la douleur ; et voilà pourquoi le paradis qu’elle a vu, dans ses intuitions ou ses rêves, nous paraît à nous, qui n’avons pas les superbes et amères consolations du génie, mieux fait pour des hommes et des âmes chrétiennes, et nous paraît, comme à elle, meilleur et plus vrai !


VIII


Car elle a osé, l’humble femme, repousser le ciel inventé par le Dante, de toute la force de son âme chrétienne ; de toute la force d’une âme que cette vie mortelle a trompée, mais que la vie future doit venger. Dans ce livre modeste et hardi, tout à la fois, des Horizons célestes, il est un passage d’une audacieuse nouveauté intitulé : « du Paradis qui ne fait pas peur, » et dans lequel le Paradis du Dante ne tient pas plus sous le regard de la femme, qui en veut un taillé à la mesure de son âme, que les plus vulgaires notions de ces paradis légendaires qui préoccupent depuis des siècles l’humanité, cette grande songeuse.