Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/137

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pas mettre le doigt, a dit le proverbe. L’arbre c’est M. Quinet, et l’écorce, c’est Madame ! Il n’y a point de bas-bleu à part et d’épouse à part ; il y a un bloc de tout cela, un bloc ineffable qu’il faut accepter tout entier ! Il y a enfin Mme Quinet (vous n’êtes pas malheureux !), un être rare, plus moral et plus sentimental que politique, patriotique et littéraire ! Un bas-bleu-épouse, comme on dit en Angleterre, un prince-époux ! Un bas-bleu conjugal, ainsi que je l’écrivais au commencement de ce chapitre ; le bas-bleu conjugal comme on dit : la tulipe orageuse ! Certes, on ne saurait trop fixer l’attention sur le phénomène d’amour conjugal dont Mme Quinet nous offre aujourd’hui l’étonnant modèle. Caramba ! c’est presque une question religieuse. C’est presque un miracle ! À force d’amour conjugal, le phénomène biblique de la côte d’Adam est retrouvé !

Aussi, maître Adam Quinet, fier de sa côte, préface-t-il aujourd’hui pour le compte de son Ève. En digne époux, il a voulu se mettre sous la même couverture que sa femme ; il a écrit, pour la présenter et la patronner, à la tête du livre de Mme Quinet, une de ces préfaces qu’elle aurait eu aussi bien que lui le talent de penser et d’écrire comme ça. Seulement, si elle l’avait écrite, il y aurait une différence, la différence de l’amour ! Elle l’aurait nommé, elle, son cher et grand mari, si elle avait annoncé un de ses chers et grands livres ! Elle en aurait parlé avec orgueil et joie. Elle aurait couronné les cheveux blancs qui lui font l’effet d’être noirs ! Elle les aurait couronnés de roses et de lauriers ; les roses pour la tendresse, et les lauriers pour la gloire ! Elle aurait, cette bayadère de l’amour conjugal, dansé autour de son idole une danse mystique, quelque chose comme un pas du châle qui serait pur !

Elle lui aurait dit encore, lyriquement : « TOI ! » enivrée. Mais M. Quinet, non ! M. Quinet ne dit rien de Mme Quinet. Il ne la nomme pas. Il ne dit pas « toi. » Il ne danse aucune danse. Il ne bouge. C’est un pieu, —