Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/174

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plus grande que l’autre, puisqu’elle est chrétienne — elle a voulu passer femme de lettres, elle a voulu se ravaler à la vie du bas-bleu, au travail et à l’ambition du bas-bleu, ce n’est pas le roman qu’elle aurait dû écrire ; ce n’est pas au roman qu’elle aurait dû se brûler les doigts. Le roman est comme la poésie : quand il n’est pas excellent, exquis, supérieur, — incontestablement supérieur — il est détestable. Connaissez-vous rien de plus détestable que de mauvais romans et de mauvais vers ? Les autres œuvres de l’esprit ont des côtés par lesquels on se revanche. L’histoire a les faits et l’intérêt des faits, même mal racontés. La philosophie, cette gymnastique dans le vide, a les muscles et les efforts des lutteurs qui se livrent à ce vain combat. Mais la Poésie et les Romans — comme dit la vieille phrase de tout le monde, — ne souffrent pas de médiocrité. Après le colossal Balzac, qui a renouvelé les sources du roman, il faut, pour avoir le courage d’en écrire un, se sentir du sang sous les ongles, plus qu’il n’en peut tenir dans toute la petite main d’une femme. Qu’est-ce donc s’il s’agit de plusieurs ?… Mme Sand, cette usurpatrice qui a régné si facilement par ce vil temps d’usurpateurs, Mme Sand, je l’ai dit plus haut, sent déjà le cadavre dans son talent et dans ses œuvres. Il faut les relire pour le savoir. Pour qui n’a pas cette sublime brutalité du génie qui enlève tout, les romans sont une littérature de roses qui durent peu, quand toutefois ils sont des roses. Que sont devenus les romans de Mme de Flahaut, de Mme de Genlis, de Mme Sophie Gay, de Mme de Duras, l’auteur d’Ourika et d’Édouard, de petits Livres d’or, disait Sainte-Beuve, ce critique-femme des femmes ; de Mme Desborde-Valmore, qu’on reconnaissait poëte encore quand elle écrivait des romans ? Ils n’existent plus. Les romans de Mme Craven s’effeuilleront comme les leurs et sur les leurs. Elle ajoutera au tas de feuilles tombées… Mais puisque j’ai parlé de roses, pour elle, ce ne sera pas des feuilles de roses qui y tomberont !