Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/192

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beaucoup des harems, et Mme de Belgiojoso comme les autres.

Dans ce long voyage de onze mois, pendant lequel elle a traversé l’Asie Mineure presque tout entière, Mme de Belgiojoso a pénétré dans beaucoup de harems, et ce qu’elle y a vu, au physique comme au moral, l’a profondément dégoûtée. Mais, hors cette impression, qu’il ne fallait pas être bien sensitive pour éprouver, la voyageuse n’a rien compris à cette polygamie des harems qu’un voyageur, d’une intelligence plus perçante et plus mâle, aurait examinée. Mme de Belgiojoso ne l’a pas jugée. Elle en a dit le mot de tout le monde, quand elle a dit que c’est là l’empêchement radical pour les Musulmans de s’élever à une civilisation meilleure et plus haute. Si la polygamie existe en Orient, nous avons certainement quelque chose de plus mauvais en Amérique et même en Europe, dans les pays où le divorce introduit dans la loi et faisant sa place dans les mœurs, le divorce qui livre la femme au plus offrant et dernier enchérisseur, tout le temps qu’elle est belle, produit nécessairement la polyandrie.

L’humanité, depuis qu’elle existe, a toujours roulé entre trois systèmes et l’esprit humain n’en conçoit pas un quatrième : la polyandrie, le plus mauvais de tous, car il crée l’amazonat sous toutes les formes, le massacre des enfants et la pulvérisation sociale ; la polygamie, qui ruinerait l’État, si le sabre de Mahomet n’y mettait ordre, et enfin la monogamie, ce diamant divin d’une eau si pure, qui est l’exclusion de tous les inconvénients, qui agrandit la tête, épure le cœur et équilibre toutes les facultés. Eh bien ! Mme de Belgiojoso n’a pas songé à mettre les trois systèmes en présence et à en discuter la valeur relative et les asservissements. Non ! après quelques mots un peu légers, elle a donné un coup de houssine à son cheval et elle a passé. Elle a passé, ne songeant pas même à retourner la tête pour voir derrière elle, la pauvre philanthrope fatiguée ! un