Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/20

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tement nous dévorer (et de fait, le principe de la démocratie accepté, les Américains étant de plus grands démocrates que nous, doivent être nos maîtres), l’américanisme que nous affectons nous a fait nous tenir tranquilles à cette exhibition… antifrançaise. En Amérique, qui ne le sait ? le bas-bleuisme a dernièrement poussé un jet formidable. Le bas-bleu s’y est transformé en blouse bleue. On y a souffert que les femmes y fissent l’homme tant qu’elles ont voulu. Les Américains les ont regardées comme le bœuf regarde la grenouille, quand la grenouille veut faire le bœuf. Soit logique, soit indifférence, ces égalitaires dédaigneux, grossiers, occupés, acharnés aux affaires, ont laissé les femmes invoquer pour leur sexe le bénéfice de l’égalité avec eux, et même le leur ont laissé prendre. Et ce n’a pas été assez encore.

Une fois en cet heureux train d’ambition et de conquête, les Américaines ont exigé davantage. De récentes publications nous ont appris que, maintenant, c’est la supériorité absolue qu’elles réclament. Il ne s’agit plus d’émancipation, mais de domination. Le mot d’ordre est lancé. Il faut chasser l’homme de partout. « Nous voulons le pouvoir, — disent-elles aux hommes, — comme meilleures, plus intelligentes et plus parfaites que vous. » Est-ce assez net ?… Et elles publient des livres pour le prouver ; des livres curieux de physiologie, d’histoire et de théologie, dans lesquels, toujours protestantes, elles interprètent la Bible dans le sens de leurs idées, culbutent la Genèse, démontrent que la chute d’Adam est la gloire d’Ève, à qui le serpent parla de préférence à l’homme, parce qu’elle était la plus spirituelle des deux. Elles tiennent pour Swedenborg, par l’unique et péremptoire raison que Swedenborg a révélé, le premier, des Anges femelles. Comme on le voit, les bas-bleus américains ont de l’avance sur les bas-bleus français, mais en vanité, tout bas-bleu est une botte de sept lieues, et nous pourrons les rattraper !