Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cinquante personnes qui prirent la fuite devant les Habits Rouges et le laissèrent pendre haut et court. Au fond, une triste page de l’histoire d’Irlande ! Cette page, qu’il vaudrait mieux oublier que reproduire, sinon pour Emmet, qui mourut bravement, au moins pour l’Irlande qui le laissa tuer, une femme (car c’est une femme que l’auteur de Robert Emmet) a eu la fantaisie de l’écrire ; et vraiment on se demande pourquoi, à moins que ce ne soit parce qu’il y a une autre femme dans cette histoire. Si Robert Emmet n’avait pas aimé Mlle Curran, aurions-nous eu ce Robert Emmet de 1858 ?.. Aujourd’hui, la femme qui l’a écrit, nous donne deux autres ouvrages : la Jeunesse de lord Byron et les Dernières années de lord Byron, et elle ne les signe pas de son vrai nom. Si Robert Emmet était un chef-d’œuvre, je le comprendrais, mais c’est à peine une œuvre. C’est une dilution des journaux du temps dans un verre d’eau, incolore, insipide et gonflant comme tous les verres d’eau du monde. Cette insignifiance, que je veux bien par politesse ne pas appeler une platitude, l’autorise-t-elle à signer tout ce qu’elle écrira désormais comme d’un titre l’auteur de Robert Emmet… ? Vanité d’auteur qui se met coquettement, pour être mieux remarquée, derrière un livre qu’elle croit sa gloire, et qui n’est qu’une obscurité par-dessus une autre obscurité, — ce qui fait deux !

Mais c’est là de la coquetterie et du mystère inutiles. Par ce temps de publicité effrénée, les masques ne masquent plus rien. Ils sont percés à jour. S’il me plaisait de vous dire le nom de l’auteur de Robert Emmet, je vous le dirais : mais il ne me plaît pas. Je ne le dirai point, et c’est le meilleur tour à jouer peut-être à cette vanité de Galatée littéraire, qui fuit derrière les saules de ses livres pour être mieux vue… Elle les croit des flambeaux ! Elle ne se nomme point, je ne la nommerai pas et ce sera sa pénitence. Ah ! tu l’as voulu, Georgette Dandinette ! Qu’il suffise aujourd’hui de savoir que c’est