Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/208

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charmantes, des familles pour y être vertueuses, se détournent assez d’elles-mêmes et de leur véritable destinée pour vouloir être littéraires comme des hommes et prétendent ajouter la gloriole de la ponte des livres à l’honneur d’avoir des enfants, la Critique n’est-elle pas en droit de les traiter comme les hommes qu’elles veulent être, sans crainte de passer pour brutale, ainsi que le fut un jour l’empereur Napoléon avec Mme de Staël ? L’empereur préférait les enfants aux livres. Il avait besoin de conscrits ! Mais la littérature n’en a pas besoin, elle. Il y en a toujours assez, de conscrits, en littérature, et qui ne deviennent jamais maréchaux. Mais ce qu’elle n’a pas, comme au temps de Mme de Staël, et ce qu’elle accepterait très-bien, s’il en pleuvait, ce serait des femmes de génie qui vaudraient mieux, à elles seules, que toute une famille… même la leur !

Et n’y a-t-il pas, du reste, une femme comme cela dans la famille de l’auteur de Robert Emmet ? Cette glorieuse descendance a eu probablement son ivresse… Pour peu qu’on ait du même sang et de la même chair, on se croit un peu du même esprit. Parce qu’on a eu une adorable et admirable grand’mère, qui s’est peinte en pied dans un tableau qui s’appelle Corinne, on veut se montrer la petite-fille de cette grand’mère, fût-ce en miniature. On s’imagine que noblesse oblige jusque-là et on Corinnise modestement, le mieux qu’on peut, dans des livres où l’on se meurt d’envie de prouver de qui on descend, par un petit air de famille. Malheureusement, il n’y en a pas ici. Dans l’impossibilité de créer des romans comme Delphine et Corinne, qui sont des études superbes de passion et de société, on se rabat sur l’histoire et sur la critique ; et parce que Mme de Staël a jugé Goethe et Schiller, et toute l’Allemagne intellectuelle de son époque, en l’inventant, il est vrai, plus qu’en la voyant telle qu’elle fut, l’auteur de Robert Emmet, qui n’a pas une pareille envergure de plume, se croit de la plus pieuse modestie filiale, en condescendant à un sujet