Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/235

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petit claquement de langue du connaisseur ; mais le plus enivrant pour l’amour-propre du bas-bleu dépareillé, qui cherche sa moitié de génie, et le plus utile pour sa vieillesse future, c’est à coup sûr Chateaubriand ! Oh ! mon pauvre et grand Chateaubriand !

Vous n’avez donc vécu que pour cette infamie !


il est impossible de le compromettre mieux que cette Prudence ! Il est impossible de le présenter mieux au public comme une chose à soi, de mieux raconter cette liaison tout entière avec un homme qui tombe du haut de sa fierté et de son génie dans le plus bête de tous les amours ! Déjà de cette amère comédie, on savait quelque chose. Sainte-Beuve, qui aimait à conduire ces eaux corrompues dans les détours sinueux des coteaux modérés de sa littérature, en avait filtré quelques gouttes dans son livre sur Chateaubriand, écrit — pour déshonorer l’auteur des Martyrs — après sa mort, bien entendu. Il tenait de l’enchanteresse Prudence ces détails qui l’enchantèrent, mais qui m’attristent, moi… quand ils me montrent l’auteur du Génie du christianisme, sur le tard de sa vie, en bonne fortune de cabaret, avec une maîtresse, et y chantant le Dieu des bonnes gens, de Béranger ! Les compagnons d’Ulysse marchant à quatre pattes devant Circé me font un effet moins violent que cette porcherie. N’est-ce pas là quelque chose d’ignoble et d’affreux dont la mémoire du grand poète religieux en prose restera éternellement souillée, et que tous les efforts futurs de la Critique et de l’Histoire, qui l’essuieront, ne pourront effacer !

Ceci restera, et c’est le crime du livre d’aujourd’hui. Le crime de ces Enchantements de Prudence, qui sont plutôt des envoûtements, c’est d’avoir fait avec l’homme qu’elle dit avoir aimé ce que les fils de Noé firent avec leur père ! Voilà le crime, le vrai crime de cette révélation d’une femme qui peut braver l’ignominie pour son