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Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/24

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rues, mais qui y bâtissent des maisons… Pour elles, c’est l’occasion de thèses faciles et infinies dans lesquelles elles frétillent comme le poisson dans l’eau. Il ne s’agit nullement de faire aux femmes, qui aiment tant à être victimes, parce qu’elles savent que c’est la meilleure manière d’être bourreau, le plaisir de leur refuser tout ; mais simplement de reconnaître exactement, — en le déterminant, — ce qu’elles ont, et ce qu’on ne veut pas, certes ! leur ôter. Or ce qu’elles ont, ce sont des facultés quelquefois exquises et relativement puissantes mais des facultés de l’ordre femelle. Seulement est-ce donc si malheureux d’être, en art ou en littérature, quelque chose comme la Vénus de Milo ?… Et faut-il encore vouloir être Hercule ?

Les femmes peuvent être et ont été des poëtes, des écrivains et des artistes, dans toutes les civilisations, mais elles ont été des poëtes femmes, des écrivains femmes, des artistes femmes. Étudiez leurs œuvres, ouvrez-les au hasard ! À la dixième ligne, et sans savoir de qui elles sont, vous êtes prévenu ; vous sentez la femme ! Odor di femina. Mais quand elles ont le plus de talent, les facultés mâles leur manquent aussi radicalement que l’organisme d’Hercule à la Vénus de Milo, et pour le critique, c’est aussi clair que l’histoire naturelle.

Ainsi elles n’ont ni l’invention qui crée ou découvre, ni la généralisation qui synthétise, ni la force sans convulsion, car la force convulsive, passionnée, elles peuvent l’avoir en leur qualité de femmes (preuve, Mlle de l’Espinasse).

Elles restent donc incommutablement femmes, quand elles se montrent le plus artistes ; et les arts mêmes dans lesquels elles réussissent le mieux, sont ces arts d’expression qu’on pourrait appeler des arts femmes. En effet, dans l’ordre des écrivains, vous chercheriez en vain une femme qui vaille, dans l’ordre des danseuses, Mlle Taglioni.