Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/289

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mourir d’ennui, s’il ne nous tuait pas de fatigue. Dans ce livre, le récit n’est rien de plus que le récit. Il ne s’y mêle jamais comme dans Mme de Staël, qui était femme et que je cite pour cette raison à Mme Haller, un aperçu, en dehors et à propos de ce qu’on raconte ; l’étoile d’une idée heureuse ou d’un mot brillant. Livre fait avec d’autres livres, non que l’auteur pille, mais il s’imprègne… Par exemple, le faux « marchand de coton » a été inspiré par le Peyrade de Balzac, déguisé en anglais. La découverte du morceau d’ébène appartenant au berceau brisé de l’enfant tué, retrouvé dans la cuisse de l’assassin, est manifestement de l’Edgar Poë. L’auteur de Vertu accomplit la loi de son être féminin, qui est de n’avoir pas d’individualité. C’est Mme de Girardin, je crois, qui a dit spirituellement et sans crainte de se déshonorer que « le style de la femme, c’était l’homme, » mais je n’ai pas reconnu l’homme dans le style de Mme Haller.


IV


Et maintenant vous connaissez ce livre de Vertu. C’est, comme vous venez de le voir, une production tourmentée et médiocre. Une médiocrité qui a dû coûter immensément de peine à l’auteur. Hélas ! le sort des femmes qui se vouent au bas-bleuisme, c’est de se donner beaucoup de mal pour arriver au niveau du premier homme médiocre qui écrit, et qui, pour être médiocre, ne se donne pas tant de peine que cela. Certes, il vaudrait mieux garder sa quenouille, mais y a-t-il des quenouilles à présent ?… Il y a des plumes qui se lèvent de partout. En voici une d’un bas-bleuisme spécial. Ce livre de « Vertu » dont le titre est un titre à la manière anglaise (les Anglais seuls ont de ces livres abstraits qui disent l’idée de leurs livres), ce livre dont les mœurs sont anglaises, semble avoir été écrit par un