Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/293

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mais les libertins ne savent pas tous les bâtards qu’ils font ; sans cela ils ne les feraient pas !) Mme André Léo, à son tour, descend de Franklin, et elle n’en a pas la bonhomie. La bonhomie, comme le mot le dit, n’est pas une qualité de femme. Je vous défie de vous figurer Franklin avec un cotillon. L’utilité, chez Mme André Léo, étrangle perpétuellement la poésie, quoiqu’elle parle beaucoup d’idéal, cette femme pratique. Mme André Léo ne se débarrasse jamais entièrement de ce ton d’institutrice, qui apprend ses devoirs et ses droits au pauvre monde, et qui gâte, à toute place, le talent qu’elle aurait peut-être sans cet insupportable ton. La raideur de l’institutrice, — de ce piquet intellectuel qu’on appelle une institutrice, — supprime les mollesses de la femme, qui feraient son génie, comme les rondeurs font sa beauté, et durcit, quand elle l’a, jusqu’au sentiment maternel. Mme André Léo, toute mariée qu’elle ait été (est-ce à l’autel de la Nature ? comme dit Michelet) et toute mère qu’elle se trahisse encore, fait l’effet d’une vieille fille, à l’imagination de son lecteur. C’est, du reste, l’effet que font les bas-bleus, quand ils ne sont pas hardiment des courtisanes qui s’affirment. Mme André Léo n’a point de souplesse. Les reins de son esprit sont soudés, et c’est l’institutrice qui se dégage avec le plus de netteté de tout l’ensemble de ses livres, à cette Enseignante, — il faut bien le dire, un peu cuistre, — qui professe l’instruction obligatoire et la morale indépendante et qui écrit des romans pour élargir, à la mesure d’un plus grand cercle, la petite classe qu’elle faisait peut-être autrefois, et pour, de cette manière, continuer son ancien et rogue plaisir de professer.

Ses livres sont assez nombreux. Les premiers parurent dans les années qui suivirent 1860. Mais sa réputation ne date que d’Un Mariage scandaleux publié, je crois, en 1869. Jusque-là, elle était restée obscure ; elle n’était pas sortie de cette carapace d’obscurité, dont l’épaisseur, toujours difficile à percer, est proportionnelle au talent