Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/43

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prendre tous ceux qui voudront grignoter un peu de cette guipure, de ce splendide point d’Angleterre qu’on appelle l’esprit de Mme de Staël ! Et ce n’est pas tout ! La biographie en question est précédée d’une haute notice sur les salons et l’esprit de salon — qui a presque des ambitions politiques. Là est peut-être, qui sait ? le sens le plus profond du livre. Mme Le Normand est aussi la nièce du Correspondant. Mais toujours est-il que j’aurais mieux aimé pour elle le fichu de sa tante Récamier que la cravate de M. de Broglie.

Elle s’en attife le mieux qu’elle peut, du reste, mais ce sera toujours un effet drôle que le ton de gravité inanimée avec lequel elle déplore doctrinairement la mort de cette chose légère, la conversation d’autrefois ! N’importe! elle a le droit de la pleurer ! Mme Le Normand, en sa qualité de chef de cabinet de sa tante, dont le salon fut un ministère, — le ministère de l’esprit non public, mais particulier, — Mme Le Normand a bien le droit de mélancoliser sur la décadence des salons et de la causerie. Nous nous associons même à sa mélancolie, mais il ne faudrait pas aller plus loin. Il ne faudrait pas exagérer et faire des salons une puissance dont on semble dire à un gouvernement: « Ah ! si nous en avions encore, vous verriez ! » car on ne verrait rien du tout.

Les salons (je prends ce mot comme vous l’entendez) sont charmants parce qu’ils sont une école — sans pédantisme, celle-là ! — de manières, d’élégance, de ton (le ton qui sert bien plus que l’esprit dans la vie et qui cache l’absence de l’esprit, quand on a le malheur de n’en pas avoir !). Or, pour mon compte, je regrette autant que Mme Le Normand qu’ils soient remplacés par les cercles. Mais les salons sont comme tout ce qui est collectif, comme tout ce qui fait masse à un degré quelconque, ils sont la proie des idées communes, de la sottise et du préjugé. Pas plus souvent dans les salons qu’ailleurs vous ne trouvez la supériorité réelle, et y