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IV


Du reste, il n’y a pas, — je l’ai dit déjà, — qu’une seule espèce de confidence et de révélation dans ces Impressions littéraires. Après la morale qu’on veut sauver, — un peu tard, — il y a la littérature, et c’est toujours la même coquetterie ou la même fatuité, ou la même combinaison de sincérité, dans cette seconde partie du livre que dans la première ! Mme George Sand a la prétention d’être spontanée en tout ! Elle veut être le génie inconscient qui ne fait, à proprement parler, ni ceci ni cela, après méditation laborieuse et volonté déterminée ; mais qui vibre divinement sous le doigt de la circonstance, parce qu’il a été créé pour vibrer ! Elle écrit, elle ne sait pourquoi, sans rime ni raison, comme elle dit : Le Secrétaire Intime. Elle écrit ceci, parce qu’il fait froid et qu’elle est triste (c’est Leone Leoni). Elle écrit cela parce qu’elle a entendu commérer deux femmes de chambre (et c’est André !). Elle écrit cet autre livre pour la Revue indépendante embarrassée et sans copie (et c’est Consuelo !). Cet autre encore (ses Comédies) pour ses enfants, et ainsi de tous ses ouvrages ! Elle va au jour le jour. Elle dit sans cesse de telle ou telle œuvre : « Je la fis à bâtons rompus. » La conscience réfléchie de la chose qu’on fait ; l’idée vraie qui doit la dominer ; la mesure de son influence ; la caresse féconde de l’étude qui en approfondit la beauté ; le calcul de la route qu’on doit suivre pour arriver au but qu’on veut frapper ; toutes ces choses, grandes et difficiles, qui seraient l’orgueil et la force des plus nobles esprits, ne sont pas pour elle « du génie ». Tout cela est trop déduit, trop travaillé, trop voulu. Ce n’est pas assez source jaillissante ! Or, voilà ce que veut être Mme Sand ! Elle n’est pas dégoûtée ! En âme et en génie, je ne sais pas si elle se croit, mais je sais bien qu’elle veut qu’on la croie naïve comme de l’eau !