Page:Barbey d’Aurevilly - Les Bas-bleus, 1878.djvu/96

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toutes les autres, ni plus ni moins, les George Sand, les Julie d’Héricourt, les Pauline Le Roux. Seulement, est-ce plus de tenue ou plus de finesse ? pour arriver à cela plus tard, Mme Stern se contente de donner aujourd’hui sa conception de la femme et, telle qu’elle l’entend, il n’y en a plus. La femme se dissout dans cette conception comme un métal dans le creuset. C’est l’eunuchisme appliqué par Mme Stern à tout son sexe. D’abord, elle lui retranche les larmes. « Il me déplaît, dit-elle, que les femmes pleurent. Elles sont victimes, disent-elles. Mais de quoi ?… De leur ignorance… de cette petitesse d’esprit qui borne leur activité aux tracas domestiques… Pleurez moins, ô mes chères contemporaines !… Prenez part de la science un peu amère et du travail compliqué de ce siècle. Méditez, pensez, agissez… » Ailleurs, elle diminue les mères. « Les devoirs de la maternité, dit-elle, sont compatibles avec les grandes pensées. Une mère en allaitant son fils peut rêver avec Platon et méditer avec Descartes. » Elle assure même assez drôlatiquement que le lait n’en sera pas plus mauvais, ce qui dépend, du reste, de la force de la méditation ou de l’ardeur de la rêverie. Philaminte enragée, mais qui veut plus que des sonnets, des ballades et de la grammaire. « On apprend, dit-elle, à bien penser, comme on apprend à coudre…… Et encore les hommes de ce pays-ci, s’écrie-t-elle avec une voix pleine de rancune, ne veulent pas qu’une femme soit docte. Ils craindraient, disent-ils, d’être moins aimés. » Et elle ajoute comme une objection renversante : « Ombre d’Héloïse, levez-vous et répondez-leur ! » ne s’apercevant pas qu’Héloïse précisément fait la réponse contraire ; que jamais cet atroce bas-bleu anticipé à qui la science avait châtré le cœur, tout en lui corrompant la tête, n’avait aimé son misérable Abeilard. Docte distraite ou peut-être pas assez docte, parce que les hommes ne l’ont pas voulu, elle n’aurait point parlé de l’amour d’Héloïse, si cette