tout entier. Il n’a point laissé de trace et de ciment parmi eux, comme Swedenborg, cet autre mystique qui passa aussi sa vie dans la contemplation et dans l’obscurité, mais dont le système plus hardi et plus exprimé a jeté un éclat qui rappelle les aurores boréales de son pays. Swedenborg a encore des milliers de disciples. Il est vrai qu’ils sont en Amérique, — ce qui diminue le mérite d’en avoir, — dans le pays qui pare sa jeunesse avec les oripeaux tombés de la tête branlante de la vieille Europe. Saint-Martin n’en a guère nulle part… Le Mysticisme, qui est de tout temps, comme l’orgueil de l’homme, sa personnalité et sa soif d’infini, a changé de peau comme un serpent. Il n’en est plus où il en était au dix-huitième siècle, et M. Caro, nous développant la doctrine de Saint-Martin, cette mystérieuse et nuageuse doctrine qui partit de Boëhm pour aboutir misérablement à une Mme de Krudner, nous produit bien moins l’effet d’un philosophe que d’un antiquaire, qui nous désenveloppe une momie et nous fait compter ses bandelettes.
Du reste, philosophe ou antiquaire, M. Caro s’est préoccupé, surtout et avant tout, d’être historien. La biographie intellectuelle de Saint-Martin n’était qu’une curiosité philosophique, mais, rattachée à l’histoire du dix-huitième siècle, elle prenait presque aussitôt de la consistance et de la valeur. Alors il ne s’agissait plus des excentricités de la pensée d’un homme plus ou moins doué d’imagination ou de génie, il s’agissait du génie même ou de l’imagination de son époque, dont un homme, quels que soient sa force et son parti pris, dépend toujours.