Page:Barbey d’Aurevilly - Les Philosophes et les Écrivains religieux, 1860.djvu/236

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un ambitieux qui ne s’était mis à regarder les hommes que pour plus tard les gouverner.

Contemplateur dans un but qui n’était pas la connaissance de l’homme elle-même, laquelle est le but unique du moraliste pur, il fut un moraliste malgré lui, en attendant le jour de l’action, et qui sait ? c’était peut-être à cause de cela qu’il fut un moraliste médiocre. En écrivant sur la nature humaine, il s’entretenait cette main inutile, qu’il ne put allonger jamais sur les hommes pour les discipliner ou pour les conduire ; il pelotait, comme on dit, en attendant partie ; mais la partie ne fut pas jouée. Le grand politique, — si réellement il y en avait un en lui, — le grand politique ignoré, qui avait la conscience de sa force, est mort trop tôt pour l’exercer. Dieu lui a épargné de vieillir, de porter longtemps cette force désespérée et vaine qui n’a pas d’autre emploi que de nous peser sur le cœur. Il n’a été qu’un mort de plus dans ce cimetière de Gray, où sont rangées les grandeurs qui n’ont pu aboutir, les génies qui ont gardé leur lumière ! et ni le grand écrivain, ni le grand penseur ne nous consolent du grand homme d’État que nous n’avons pas !

Des deux côtés, il a manqué la gloire. La renommée qu’il doit à Voltaire tombera en miettes devant la Critique qui le touchera d’un doigt ferme, comme un vieux tableau pulvérisé. Son nom restera dans l’histoire des lettres, car il est dans la correspondance du diable d’homme qui tient son siècle dans sa main, comme Charlemagne tenait son globe, mais on s’étonnera des mérites que Voltaire a mis sous ce nom. Pour nous, il en a deux qui sont oubliés et qu’il faut remettre